Le dragon apprivoisé Se promener sur le port ensoleillé de Monaco au mois de janvier, c'est bien agréable. Le faire au volant d'une voiture japonaise pratiquement inconnue en France, c'est snob. Si la voiture est immatriculée au Japon, c'est franchement original. Quand il s'agit de tester la Datsun 240 Z de Rauno Aaltonen, au lendemain de son brillant résultat au rallye de Monte-Carlo, c'est une merveilleuse aventure.

Lors des nombreux cocktails qui suivirent la 40e édition de la célèbre épreuve, nous avons fait connaissance de l'un des meilleurs rallymen mondiaux, le Finlandais Aaltonen. Nous avons été subjugués par la découverte de sa personnalité, et Jean Lerust n'a d'ailleurs pas résisté à l'envie de vous faire connaître cet homme extraordinaire. Nous lui avons bien entendu posé des questions au sujet de sa nouvelle monture la Nissan-Datsun, et à notre grand étonnement, il nous donna rendez-vous le lendemain pour tester cette mystérieuse orientale.

Connaissez-vous la 240 Z ? Dans ce cas vous êtes un érudit automobile. Pas importée en France, la sport de Datsun ne révèle ses détails techniques qu'au compte-gouttes. Six cylindres en ligne de 2400 cc, le bloc Nissan comporte un arbre à cames en tête et développe environ 150 ch DIN pour un poids dépassant la tonne.

Puis, la presse la découvre lors du déroulement du R.A.C. Bien qu'excellemment conduite par le Finlandais et Tony Fall, la voiture n'obtient que des classements moyens, car sa tendance sous-vireuse la rendait peu maniable sur les terrains glissants rencontrés à travers la Grande-Bretagne. Dans sa version compétition, les améliorations sont nombreuses, et l'usine n'a pas fait les choses à moitié: après le travail de la culasse, de l'arbre à cames, de l'alimentation (3 Solex «Japan» double corps de 42), de l'échappement (tubulure en tube d'acier), le moteur développe la bagatelle de 230 ch DIN à 6 500 tr/mn. Une boîte 5 vitesses (homologuée) est montée, la suspension subit des aménagements compétition: amortisseurs durs, abaissement général. Un léger gain de poids est obtenu par les moyens classiques tels que portières et capots plastiques, garnitures intérieures supprimées, plexi latéraux, etc.

Le tour du propriétaire avec «Monsieur» Aaltonen Lors du rendez-vous, le leader de l'équipe japonaise était en combinaison pour une séance de photos avec des reporters britanniques. Quelques minutes plus tard, il nous invita à monter à ses côtés,nous commanda de boucler un solide harnais Willans dont il vérifia lui-même le serrage des bretelles en spécifiant «on ne sait jamais qui peut arriver en face». Nous étions dans le bain. Tant qu'il fut en ville, tout alla fort bien, mais dès qu'il enfila la route de la Turbie, le pilote prit le pas sur le gentleman. Il cravacha l'imposante cavalerie et commença une trop courte démonstration. Tout en admirant sa technique prodigieuse, nous commencions à juger cette énorme bête qu'est la 240 Z et à voir qu'en effet, ce n'est pas une voiture des plus maniables, encore qu'avec le coup de volant du propriétaire...

Quelques kilomètres plus loin, il exécuta un splendide tête-à-queue volontaire pour faire demi-tour et entreprit de redescendre vers Monaco à une allure de touriste tout en nous spécifiant les améliorations qu'avait subies la voiture. Disons tout de suite que s'il avait dépassé 3000 tr/mn, nous n'aurions jamais pu tenir cette conversation. De retour à son hôtel, il nous demanda de ramener la voiture pour 1 9 h ; il était 10 h. Une journée merveilleuse s'offrait à nous et le cap fut mis immédiatement sur l'arrière-pays méditerranéen, si riche en petites routes accidentées.

Avant d'attaquer Une mécanique développant une centaine de chevaux au litre mérite toujours du respect, aussi avant de nous élancer nous avons tenu à découvrir chaque détail. L'intérieur, entièrement noir mat, est très semblable à celui de la voiture d'origine, c'est-à-dire franchement moderne pour ne pas dire tirant sur la futuriste. L'équipement rallye est constitué par deux Tripmaster (Aaltonen nous confia que cet appareil lui causait beaucoup de soucis et qu'il préférait en avoir deux totalement indépendants par précaution). Un tableau rajouté comporte plusieurs interrupteurs commandant la batterie de phares, le lave-glace, l'essuie-glace, le phare de recul, le lecteur de carte. Une astuce : un rhéostat commande l'intensité des phares. Un petit interrupteur commande un éclairage indépendant du seul compte-tours (mouchard à 7 000 tr/mn) au cas où le système classique connaîtrait une défaillance. Les sièges s'ont fins, légers, très enveloppants et fort confortables, peut-être grâce à leur tissu. Le volant, d'assez grande dimension, est à jante très épaisse. L'arceau de sécurité est double et inspire une confiance presque sans limites. A aucun moment, la finition n'est négligée, même au titre du sacro-saint gain de poids.

Le moteur est fort imposant dans ses dimensions, de même que la boîte de vitesses qui ressemblerait plus à celle d'un camion que d'une voiture de sport. L'ensemble dégage une impression de robustesse peu commune et, à vrai dire, cette mécanique évoque d'assez près le groupe de la défunte Austin Healey3OOO, mécanique immortelle s'il en fut. Les roues en alliage léger étaient chaussées, pour cet essai, d'énormes Dunlop Racing pour faire passer la cavalerie de l'ensemble.

Banzaï!... La position de conduite est excellente, et à ce sujet, on devine l'importance de la préparation. Solide cale-pied en tôle ajoutée, pédales métalliques de bonnes dimensions permettant toutes les man¦uvres nécessaires contribuant au confort du pilote. Contact. Deux puissantes pompes électriques font entendre leurs cliquetis à quelques dizaines de centimètres de vos oreilles. Dès la misée n route, les deux échappements fort libres font entendre un bruit puissant, corsé et plein de vie qui se transforme en feulement rageur dès que l'on chatouille l'accélérateur. En dosant les gaz à vide, on sent déjà que le moteur est léger et certainement moins lourd que ne le laisse supposer son aspect extérieur.

En ville, l'élégant monstre sait se montrer civilisé et même beaucoup plus que la plupart des véhicules communs. Rouler en 4e à 30 km/h semble naturel et l'accélération se fait sans la moindre bavure ou hésitation. Comme répondait Aaltonen «Le couple maxi n'est pas déterminé mais il est vraiment très gros », affirmation ponctuée par un geste communément employé par les pêcheurs. Puis arrive la Turbie, et dès que nous voulons attaquer, une impression extraordinaire se dégage, au bout de 3 km, il me semble avoir déjà la voiture en mains. Mais l'extraordinaire souplesse du moteur, la précision des freins et l'étonnante douceur de la commande de boîte mettent instantanément le pilote à l'aise. Notons aussi que la voiture était en parfait état de fraîcheur, prête à partir pour une grande aventure, immédiatement après le plus émouvant des Monte-Carlo. La raison vous en sera donnée par Aaltonen lui-même, mais avouons que ces Japonais sont extraordinaires. Alors commence pendant plusieurs heures la fête. Les accélérations foudroyantes dans un rugissement d'échappement qui se répercute entre les rochers me grisent, et c'est une suite ininterrompue de montées en régime, de rétrogradages à la volée, de freinage à la limite, de balancements, de «power-slide» qui ne prendra fin qu'à la tombée de la nuit. La température extérieure est élevée ainsi que la chaleur dégagée par la boîte, mais à aucun moment nous n'avons envisagé un arrêt, enthousiasmés par cette bête sauvage. Nous prenions seulement le temps de changer de temps en temps de passager pour que chacun soit de la fête et à dire vrai tous ont pris peur. En particulier dans un passage rapide, la veille, Jean Vinatier et sa berlinette 1600 S passait aux environs de 180 km/h en descente. Avec la 240 Z, nous passions au même endroit à plus de 190 km/h en montée. Une vitesse de pointe de 220 km/h avec un rapport de pont moyen (un plus court existe mais il faut trop faire attention au compte-tours) et un 1 000 m départ arrêté en moins de 27 secondes ne sont pas à la portée de la première automobile. Ceci pour vous donner une idée de la puissance disponible. Au fur et à mesure que le temps passait, nous allions de lus en plus vite, et petit à petit, nous découvrions les limites de la voiture, et les nôtres par la même occasion. La direction, fort légère en ligne droite, se durcit fortement en courbe rapide, au point que e soir nous avions un peu ma dans les bras. Coup de chapeau au passage pour les pilotes titulaires. La tendance naturelle sous-vireuse, bien compréhensible avec l'imposant moteur à l'avant complique un peu ce problème, au même titre que le pont autobloquant. En effet, à aucun moment les racing n'ont patiné, même en sortie d'épingle en mettant toute la sauce sur la 1ère. En virage serré, il faut balancer la voiture comme un sauvage pour essayer de faire décrocher l'arrière. Et encore les écarts de ce dernier sont toujours très limités. Par contre en courbe plus rapide, en approchant de la limite, le passage du sous-virage au sur-virage se fait assez violemment et le pilote doit réagir instantanément pour éviter de taper sur les routes étroites.

A la vérité, conduire la Datsun 240 Z très rapidement est très facile. Vouloir en trouver la limite demande déjà un certain talent, mais frôler cette limite 3000 km durant demande un coup de volant hors du commun. Mais sans vouloir aller si loin, nous ne retenons de cet essai que la sauvagerie du moteur aidé par une merveilleuse boite de vitesses qui se commande du bout des doigts et surtout cette tenue de route franche, loyale, fruste, teintée d'un soupçon de susceptibilité permettant au pilote de se défouler en toute confiance sans pouvoir abuser des bonnes choses.

Si le ciel m'entendait... On prétend qu'un nouvel importateur serait nommé pour la France. Quelqu'un qui devrait d'ailleurs bien connaître Rauno Aaltonen, l'ex-mousquetaire des «mini». Soyez sûr que, dès qu'une 240 Z rentrera en France, nous courrons la tester, en espérant retrouver dans la version commerciale toute la virile séduction du modèle compétition.

Mais l'idéal à nos yeux serait de disposer de cette même voiture pour disputer le Tour Auto. Solide, puissante, sympathique à maîtriser sur pistes, suffisamment maniable sur route, elle devrait faire bonne figure face aux éternelles et imbattables Porsche. A défaut de succès, nous serions certains de prendre une dose de bonheur pour les mois d'hiver à la veillée, au coin du feu.